Un matin de décembre, un peu avant Noël, j’entre dans un des hôtels de Europa-Park... Visiblement, le thème de l’hôtel tourne autour de l’époque gallo-romaine, puisque les membres du personnel sont déguisés de la sorte. L’hôtel aussi, il est construit de façon à reconstituer les ruines du Colisée… Waouh, ils ont construit des ruines neuves ! Qui a eu cette idée géniale ?
Jusque dans la chambre, le thème est présent, lit à étage pour enfants, en forme de char tiré par des chevaux, peinture de gladiateurs au mur… Pas trop de représentation féminine, au passage… Tout est fait pour se divertir, pour rêver, pour rendre beau, pour passer un bon moment, pour faire oublier un quotidien parfois lourd !
Dans le hall, je m’assieds sur un canapé, en attendant Alain, le responsable de ma venue ici. De nature contemplative, j’observe les familles venues passer ici un moment pour les fêtes ! On se croirait dans un film américain sur Noël : sapin de Noël géant, des boules, des guirlandes, des lumières… Les sourires des enfants… Exit la sobriété énergétique et le souci du coup de l’énergie. Tout est parfait pour passer un bon séjour, ici il n’y a pas de problème. D’ailleurs, il n’y a pas d’écran avec BFM en continu... Comme dans tant d’autres hôtels en France. Jusque dans le restaurant, c’est l’abondance, je suis resté scotché par la remarque du serveur: « vous avez jusqu’à 22 heures pour profiter du buffet...Pour vous éclater, la panse ! ». Est-ce en rapport avec le thème ? Oui, sûrement ! Ça doit être un remake d’une orgie !
Bon, Alain, avec tout ça, ce premier soir… Je me demandais ce que je faisais là. Par moi-même, je ne serai jamais venu, surtout quand, au même moment, je me questionne sur ce qui me pousse à combler le vide en moi… Et où ma recherche est à une vie simple… Une vie bonne…
Le divertissement, est pour moi un symptôme à notre inconfort face au temps qui passe, une recherche effrénée à combler le vide et à faire des trucs ! Parce que rester immobile, ne rien faire, c’est perdre son temps… Mes fils me le rappellent souvent : « Pourquoi on n'est pas une famille normale ? Avec une télé, un grand frigo, un robot aspirateur, des voyages en avion, des vacances au ski… » Fiston : est-ce cela une vie bonne ? la beauté n'est-elle pas dans la relation au monde, dans ta capacité à être en résonance avec l’autre ?…
Et c’est ce qui m’a fait repartir de là heureux, avec le sentiment d’être à ma juste place.
Le lendemain matin, je facilitais un atelier pour le comité de direction d’Alain, 16 personnes. Ça fait cinq ans que nous cheminons ensemble, cinq ans que je leur propose le même exercice, qui m’a valu le clin d'oeil amusé de Jacques « et on continue à te payer pour ça ?… ». Oui ! À la fois, çà peut paraître rien, et en même temps c’est tout ! Avoir un tiers neutre est précieux pour cet exercice, afin de garantir un cadre de sécurité et de confiance pour le groupe. Dans certaines situations, il peut voir des signaux faibles que les membres de l'équipe de ne voient plus.Il est ausi garant du cadre de dialogue: suspension du jugement, parler avec respect, écouter pour comprendre...
Il y a cinq ans, dans ce comité de direction, l’ambiance était tout autre : de l’ironie, du cynisme, du jugement… Bref, tout ce qu’Otto Scharmer, qui a mis au jour la théorie U, qualifie comme des obstacles à la relation et au dialogue authentique. Je me souviens d'une remarque d'un participant de l'époque, qui n'est plus dans l'équipe aujourd'hui: "tout tes trucs, c'est de la science molle pour moi! on perd notre temps!". Au début, le dialogue était faible, la tendance était à écouter le chef, sans rien dire. À force de proposer des espaces de dialogue, quitte à parfois à enlever le Chef, j’ai proposé un exercice que je pourrais baptiser le speed-Back, contraction de Speed-dating et feed-back. Où l’intention est de se faire du feed-back en mode speed-dating.
Pendant deux heures, chaque membre de l’équipe rencontre tous les autres sur des séquences de quatre minutes, durant lesquelles ils vont se parler à deux (ou en bilatéral, comme dirait Jacques) de leur relation. « Qu’est-ce que j’ai apprécié cette année… » « Qu’est-ce que tu as fait qui m’a heurté… » « Ce que j’aimerais dans notre relation future… ». Au bout de quatre minutes, lorsque la sonnette retenti, chacun rencontre un autre, ce qui est dit entre eux, reste entre eux…
Petit Tips au passage : pour que les roulements se passent bien, j’utilise une table de berger. (modèle mathématique utilisé pour organiser des tournois)
Aux dires des participants, les feed-backs, au bout de cinq ans sont plus directs, plus entendables. Charles m’a aussi confié prendre des rendez-vous avec certains pour poursuivre, car quatre minutes n’étaient parfois pas suffisantes. Damien me partage aussi « pourquoi on attend pour faire ce genre d’exercice ». Peut-être pour ne pas me voler mon boulot ! Et à la fois la question montre que pendant un an, ils ne se font pas ce genre de feed-back, qui visiblement leur fait du bien. Alain me partage aussi que le groupe a une maturité qui permet aux personnes de se faire des retours qui dérangent, de les accueillir et de les transfomer.
Dans beaucoup de collectifs à qui je propose cet exercice, le constat est le même : le rythme, le stress, l’accélération nous mettent à distance de notre environnement, notre capacité à être en relation s’amenuise ou se concentre sur des questions opérationnelles. Nous sommes « divertis » par notre quotidien et nous loupons parfois les occasions de nous parler de notre relation.
Je me sens ma place dans ce moment-là, même si Jacques se demande à quoi je sers… Finalement, en grattant le vernis d'Europa-Park, j’ai découvert un groupe qui se parle cash avec authenticité.
Et pour toi, Alain, voici la fiche technique de ce temps de dialogue.